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Al Ala, Musique Andaluci Marocaines

Vestige vivant de la brillante civilisation hispano-maghrébine, la musique andaluci du Maroc perpétue un large répertoire de chants et de musique instrumentale, le âla, que les Marocains ont jalousement conservé grâce à une très forte tradition orale.

De nos jours, ce répertoire se compose de onze nûbâ, suites vocales et instrumentales, basées chacune sur un mode principal spécifique et un nombre variable de modes secondaires. Chaque nûbâ se divise en cinq parties principales ou mîzân, d'inégales durées et correspondant respectivement aux cinq rythmes de base :



Chaque mîzân respecte le principe de l'accélération progressive en trois phases muwassal (large), mahzûz (relevé), insirâf (allant, rapide).

Outre la qasida classique, le corpus poétique de la nûbâ comprend des muwashshahat construits sur une métrique nouvelle distincte du mètre 'arûd traditionnel, ainsi que des zajal andaluci et des barwâla (malhûn marocain). On a coutume d'appeler le texte poétique chanté une san'a (métier, oeuvre d'art). Chaque san'a se compose d'un poème de deux à sept vers divisés en deux hémistiches et séparés par des ritournelles instrumentales. Les san'a traitent de sujets variés hommage aux plaisirs de l'amour et du vin, piété, soufisme.

La nûbâ couvre une durée moyenne de sept heures. Elle n'est généralement pas exécutée dans sa totalité, on se contente lors des fêtes de jouer un mîzân. Selon la tradition chaque mîzân commence par des préludes instrumentaux, bughya, mishâtiyya, tûshiya, suivis de l'enchaînement des san'a exécutées en choeur. Parfois un ou deux chants individuels (mawwâl ou inshâd) peuvent s'intercaler entre deux san'a, ou se substituer aux préludes instrumentaux du mîzân.

L'orchestre traditionnel se compose d'instrumentistes-chanteurs au milieu desquels se place le chef, dépositaire du répertoire et ayant à son actif une longue expérience du style et du mode d'agencement des san’a

Si le jeu instrumental et l'exécution vocale respectent de manière générale le caractère monodique de la nûbâ, chaque instrumentiste-chanteur se voit néanmoins conférer une relative liberté d'exécution par rapport à l'ensemble des autres musiciens, ce qui provoque fréquemment des moments hétérophoniques, De nos jours, les instruments de l'orchestre interprétant le âla sont le rbâb tenu généralement par le chef, le ud, le violon, l'alto, le violoncelle, le târ et la darbûka

Le rbâb est une vièle monoxyle à deux cordes frottées en boyau, dépourvue de manche, et constituée d'une caisse naviforme en bois de noyer, cèdre ou acajou. La caisse est recouverte dans sa partie supérieure d'une mince lame de bois ornée de rosaces et dans sa partie inférieure d'une peau de chèvre. L'archet, court et massif, se compose d'un morceau de fer en forme d'arc tendant une mèche de crins de cheval. Joué verticalement, le rbâb repose sur les cuisses de l'instrumentiste.

Le 'ud est un luth piriforme à cinq ou six rangs de doubles cordes dont le manche est dépourvu de frettes, Il est joué avec un plectre de corne.

Le violon et l'alto occidentaux, introduits au XVIIIeme siècle, sont joués verticalement sur le genou gauche. Le violoncelle quant à lui est d'introduction récente, il peut être joué à l'archet ou en pizzicato.

Le târ est un petit tambour sur cadre d'environ 15cm de diamètre muni de cymbalettes d'argent ou de cuivre. Tenu dans la main droite, il est frappé par les doigts ou la paume de la main gauche, tandis qu'un savant travail de la main droite en fait heurter le cadre contre le poignet droit.

La darbûka est un tambour-calice en terre cuite recouvert d'une peau de chèvre. Posée en travers de la cuisse gauche elle est frappée à mains et à doigts nus. A l'instar de la nûbâ gharîbat al-husayn interprétée par l'orchestre AI-Brihi de Fès sous la direction de Haj Adbelkrim al-Raïs, la nûbâ al-'ushshàq est une contribution nouvelle à l'Anthologie Al-ala s'inscrivant dans le cadre de la politique tracée pour la sauvegarde et la préservation du patrimoine culturel marocain.

La diffusion de ce patrimoine vise notamment à constituer progressivement un fonds documentaire réalisé dans les conditions techniques les plus performantes, alliant la haute fidélité au respect de l'authenticité et des règles classiques d'interprétation.

La nûba al-'ushshâq, l'une des plus belles tant par sa musique que ses poèmes, est également l'une des plus populaires, ses mizân étant très fréquemment joués dans les fêtes privées et publiques.

L'artiste défunt Moulay Ahmed Loukili, l'un des grands noms de la musique andaluci de ce siècle. chef de l'orchestre de la R.T.M. de 1953 jusqu'à sa mort, le 25novembre 1988, détenait, en plus de son savoir musical, un sens aigu du texte et de la littérature qui le servit maintes fois dans la restauration des san'a dont la syntaxe musicale et les poèmes avaient subi des dommages. Rien d'étonnant à cela quand on sait combien il s'investit dans le perfectionnement de l'interprétation, ainsi que dans le développement du sens esthétique chez ses musiciens et ses disciples. Il avait entamé les répétitions de cette nûbâ afin de participer à l'Anthologie, lorsque la maladie le contraignit à interrompre son travail.

A sa mort, Haj Mohamed Toud, le plus ancien et le plus doué des musicens de l'orchestre, prit la relève et continua l'oeuvre de son maître. Le résultat en est une nûbâ complète dont les san'a sont admirablement agencées.

LA NUBÂ 'USHSHÂQ

Dans la classification d'al-Hayk (XVIII, siècle), al-'ushshâq apparaît comme la onzième et dernière nûbâ du répertoire al-âla marocain. Nûbâ du matin, ses poèmes révèlent le désir de clarté et de limpidité qui fait suite à une nuit agitée, toute entière consacrée à la beauté et au vin.

La nuit obscure bat en retraite,
Poursuivie par la lumière qui balaie les ténèbres,
Les bougies se consument en pleurant nos adieux,
Et voilà que les oiseaux chantent et que les fleurs nous sourient
(14e san'a du mîzân basît)

La nûbâ al-'ushshâq est basée principalement sur le tab' (mode) 'ushshâq autour duquel gravitent deux modes secondaires : rami dit et dit. Ces trois modes, présentés séparément ou mêlés à l'intérieur d'une même san'a concourent à faire de la nûbâ al-'ushshâq l'une des plus populaires au Maroc du fait de la variété des couleurs modales et de la fraîcheur qui s'en dégagent.

Le mode 'ushshâq
Finissant sur la note ramal (sol), ce mode reflète une structure pentatonique fondamentale, les quatrième et septième degrés, plus rares et plus instables que les cinq autres, pouvant être considérés comme des notes de passage ou des positions provisoires destinées à introduire les autres modes.

La tüshiya de la nûbâ donne une excellente illustration de ce caractère pentatonique


Le mode ram dil
Basé sur la note maya (ré), raml dil se caractérise par l'apparition du tétracorde (jins) hijaz :

Ce jins est utilisé dans les fins de phrases et presque toujours sous la forme d'une figure descendante allant de la dominante à la tonique, avant que n'apparaissent les notes dil (do) et sikâ (mi) qui participent à la définition du mode. L'exemple en est donné dans la san'a , âhin ya sultânî,, du mizan btâyhî:


Le mode dil
Ce tab' est fondé sur la note dil (do) avec une insistance sur la note sikâ (mi) comme c'est le cas dans la san'a , sayyidî fal ma tashâ , du btâyhî:


Sous la direction de Haj Mohamed Toud, l'orchestre de la Radio nationale de Rabat présente la nûbâ al-'ushshâq et rend par la même occasion hommage à son maitre défunt Moulay Ahmed Loukili dont la rigueur de style et la parfaite maîtrise des san'a était célèbre.

Cette nûbâ dure environ six heures et quarante minutes. Pour ses cinq phases rythmiques elle totalise quatre-vingt sept san'a, soit dix-huit dans le basît, treize dans le qâym wa nusf, seize dans le btâyhî, quinze dans le darj qui fut recomposé en 1940 par le maître tangérois Larbi Sayyar, et vingt-cinq dans le qoddâm.


Moulay Ahmed Loukili
Né en 1909 à Fès, Moulay Ahmed Loukili apprend d'abord la musique auprès de son père, puis en auditeur libre à la qarrawiyyîn où il rencontre ses premiers maîtres, Mohamed Zahi Berrada qui lui enseigne le luth, Mohamed Ayyoush et Abdelkader Kourrish qui l'initient au répertoire des san'a. Mais ses vrais maîtres seront al-Brihi et al-Mtiri, qui rendront d'ailleurs hommage à son talent. Jusqu'en 1936, Loukili fait partie de l'orchestre d'al-Brihi à Fès, puis il repart pour Tanger où il fonde l'association Ikhwan al-fan iles frères de l'art) qui organise des concerts et assure un enseignement musical.

Egalemerit professeur au conservatoire de Tétouan, Loukili en profite pour approfondir sa connaissance du répertoire en apprenant les san'a spécifiques des styles de Tétouan et de Chefchaouen.

En 1953 il devient chef de l'orchestre de la radio, fonction qu'il assure jusqu'à sa mort à la fin de l'année 1988.

Le style de My Ahmed Loukili se caractérise par la précision du dawr (mètre poétique) et une parfaite maîtrise de l'utilisation des taratin (syllabes vides complétant le dawr), ainsi que par son souci constant de corriger les erreurs de langue et de grammaire très courantes chez les musiciens. Par un constant effort de recherche et d'analyse, il a également fait oeuvre de restauration en exhumant des san'a partiellement oubliées dont il a reconstitué le mètre et certains passages mélodiques

Laissant des élèves dans toutes les villes où il a séjourné, My Ahmed Loukili a également fait des adeptes un peu partout qui le tiennent, à juste titre, pour le plus grand maître de la musique andalouse de ces quarante dernières années.

Haj Mohammed Toud
Né en 1928 à Ksar el Kebir d'un père théologien (fqih), Mohamed Toud est initié aux règles de la cantillation coranique avant même d'entrer à l'école coranique (msid). Pendant toute sa jeunesse, il mène de front ses études au collège musulman et l'apprentissage de la musique andalouse.

Engagé en 1951 à la Radio de Rabat pour déclamer le Coran quotidiennement, il attire l'attention du maître Mbirkou qui le prend dans son orchestre comme chanteur soliste (munshid). En 1953 l'orchestre change de chef avec la venue de Moulay Ahmed Loukili, et Mohamed Toud entame une nouvelle étape de sa carrière en s'initiant aux longues et difficiles san'a du répertoire, et en s'imprégnant de la rigueur de style du maïtre. Par ailleurs, il complète sa formation auprès de Mohamed Jaîdi, professeur à la Garde Royale, et de Mohamed Sbiya', doyen des musiciens de Rabat.

A la suite du décès de My Ahmed Loukili à la fin de l'année 1988, Mohamed Toud se voit confier la direction de l'orchestre, eu égard à son ancienneté, sa connaissance du répertoire et son talent de munshid.


HajAbdelkrim Raiss



Source : Collection INEDIT, Enregistrements effectués en octobre 1989 au Studio Son et Lumière de Casablanca,
Ministère de le Culture du Royaume du Maroc et Maison des Cultures du Monde (Paris 1990)

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